L'ensemble jabot-gésier du ver de terre isolé in vitro
répond
par des modifications de la fréquence et des caractéristiques
de ses contractions (amplitude, tonus basal, tension maximale) lorsqu'il
est soumis à l'action de diverses substances chimiques. Il constitue
ainsi un modèle intéressant pour tester l'action de substances
pharmacodynamiques dans le but d'identifier des neuromédiateurs
putatifs et leurs récepteurs.
Outre l'acétylcholine, considérée comme un des
principaux neurotransmetteurs agissant in vivo sur le jabot-gésier,
une grande variété de substances chimiques caractérisées
comme neuromédiateurs chez les annélides oligochètes
modulent l'activité du jabot-gésier in vivo. Il s'agit,
d'une part, de petites molécules (acétylcholine, catécholamines,
GABA, glutamate, sérotonine) déjà connues comme neurotransmetteurs
classiques et, d'autre part, de divers peptides dont certains présentent
des homologies de séquences avec des peptides déjà
connus, chez les invertébérés ou chez les vertébrés,
révélant ainsi leur parenté évolutive.
Plusieurs de ces substances ont en outre été localisées
par immunocytochimie dans les neurones de ver de terre, plus particulièrement
dans ceux qui innervent le tube digestif, confirmant qu'ils pourraient
agir comme neuromédiateurs à ce niveau.
Les expériences présentées ici ont pour but de
tester l'action de différentes substances sur l'ensemble jabot-gésier
du ver de terre isolé d'une façon similaire à ce qui
est présenté sur ce site concernant l'action
de l'acétylcholine.
La diversité des substances capables de modifier l'activité
de l'ensemble jabot-gésier de façon réversible et
dose-dépendante suggère la présence d'une grande diversité
de récepteurs différents.
Pour tester l'action des substances choisies, les contractions spontanées
de l'ensemble jabot gésier sont enregistrées sans traitement
particulier pendant une durée déterminée, généralement
une minute, puis la substance à tester est injectée rapidement
avec une seringue dans le liquide physiologique contenant l'ensemble jabot-gésier
isolé de façon à obtenir un mélange rapide.
L'enregistrement est poursuivi ensuite pendant une durée variable
selon les substances administrées.
Les différentes substances chimiques utilisées dans les
expériences ont été dissoutes dans du liquide physiologique
et diluées en fonction des besoins. Il s'agit de l'acide gamma-aminobutyrique
(GABA), de la 5-hydroxytryptamine (sérotonine : 5-HT) et de l'adrénaline.
Des représentations tridimensionnelles interactives de ces molécules
sont également présentées pour illustrer leur structure
moléculaire. Pour pouvoir les afficher sur votre ordinateur, il
est indispensable de télécharger et installer l'application
CHIME disponible sur le site BIO-GEO de l'INRP. Pour cela, cliquer sur
le lien suivant :
télécharger
CHIME.
Noter que les concentrations indiquées sont exprimées
en concentration molaire dans la cuve de survie qui contient 30 mL de liquide
physiologique.
GABA
L'acide gamma-aminobutyrique (GABA) est un neurotransmetteur très
répandu chez les vertébrés comme chez les invertébrés.
C'est un acide aminé mais, contrairement aux acides aminés
protéinogènes qui portent la fonction amine en position alpha,
c'est un acide gamma aminé.
Chez les mammifères où il est présent essentiellement
dans le système nerveux central, il constitue le principal neurotransmetteur
inhibiteur. Il est présent dans environ un tiers des neurones du
cerveau où l'on a identifié plusieurs types et sous types
de ses récepteurs.
Chez les invertébrés, le GABA intervient comme neurotransmetteur
inhibiteur ou excitateur selon les tissus et les espèces, soulignant
ainsi le fait que la fonction d'un neuromédiateur dépend
uniquement de ses récepteurs. Ainsi, le GABA est inhibiteur à
la jonction neuromusculaire chez le ver de terre et certains crustacés
et au niveau des récepteurs d'étirement de ces derniers alors
qu'il stimule l'activité des muscles lisses du jabot-gésier
de ver de terre.
Les tracés ci-dessous montrent que la stimulation
de l'activité des muscles lisses du jabot-gésier de ver de
terre par le GABA est dose-dépendante. Toutefois, la concentration
seuil efficace est près de 1 000 fois plus élevée
que celle de l'acétylcholine (de l'ordre de quelques dizaines de
µmol.L-1 contre quelques dizaines de nmol.L-1
respectivement).
Action de concentrations croissantes de GABA sur les contractions
spontanées du jabot-gésier
Pour montrer que le GABA n'exerce pas ses effets par l'intermédiaire
des récepteurs de l'acétylcholine, la préparation
jabot-gésier a été traitée par l'atropine après
avoir reçu une dose efficace de GABA. Alors que la concentration
d'atropine utilisée a été choisie parce qu'elle abolit
la réponse à une concentration élevée d'acétylcholine
(500 nm.L-1), elle est sans effet sur la réponse au GABA.
Contractions du jabot-gésier traité par le GABA puis
par l'atropine
Sérotonine
La sérotonine ou 5-hydroxytryptamine (5-HT) est connue depuis le
milieu du dix-neuvième siècle comme un composant du sérum
sanguin qui augmente la pression artérielle, effet auquel elle doit
son nom. Elle exerce en effet chez les vertébrés une puissante
action vasoconstrictrice car elle stimule la contraction des muscles lisses
des artérioles. Elle n'a cependant été reconnue comme
neuromédiateur qu'au milieu du vingtième siècle.
Chez les vertébrés, seulement 1 à 2 % de la sérotonine
totale de l'organisme se trouve dans le système nerveux central
où elle est localisée essentiellement dans des neurones provenant
de la région du raphé médian de la protubérance
annulaire et du tronc cérébral. Il s'agit de neurones qui
se projettent largement vers d'autres régions du système
nerveux central comme le télencéphale, le diencéphale
et la moelle épinière. On trouve aussi la sérotonine
dans la muqueuse intestinale, en particulier dans les cellules entérochromaffines
et dans diverses cellules, mastocytes et plaquettes notamment.
La sérotonine est également un neuromédiateur
chez les invertébrés où elle a été identifiée
chez divers annélides, mollusques et crustacés, dans le système
nerveux central comme dans le système nerveux périphérique.
Elle y exerce des actions différentes selon les espèces et
selon les organes.
Il existe une large variété de récepteurs sérotoninergiques.
Simplement chez les vertébrés, sept classes différentes
de récepteurs comportant divers sous types ont déjà
été décrits.
L'action de la sérotonine sur le jabot gésier du ver
de terre est dose dépendante comme le montrent les tracés
ci-dessous. Des concentrations micromolaires produisent une augmentation
immédiate de la tension maximale développée par le
muscle puis un arrêt des contractions spontanées accompagné
d'une diminution progressive du tonus basal. Les contractions rythmiques
reprennent ensuite progressivement au bout de quelques minutes.
Action de concentrations croissantes de sérotonine sur
les contractions du jabot-gésier
Adrénaline
L’adrénaline fait partie des catécholamines, groupe d’amines
dérivées de l’acide aminé tyrosine, caractérisées
par la présence du noyau dihydroxybenzène, appelé
aussi noyau catéchol. Elle se forme par méthylation de la
noradrénaline sous l'action de l’enzyme phényléthanolamine-N-méthyl
transférase.
Chez les vertébrés, l’adrénaline est à
la fois un neurotransmetteur présent dans de nombreux neurones du
système nerveux central et du système nerveux végétatif
et une hormone sécrétée par les glandes médullosurrénales,
notamment en cas de stress. Elle participe alors à la mise en place
d’une réaction d’alarme par ses actions cardioaccélératrice,
bronchodilatatrice, vasodilatatrice musculaire et hyperglycémiante.
Les catécholamines, en particulier l’adrénaline, sont
également présentes dans le système nerveux de divers
invertébrés, notamment les annélides, les mollusques
et les insectes.
L'adrénaline, dont on sait qu'elle agit sur les muscles lisses
de vertébrés, a également une action sur les muscles
lisses du jabot-gésier du ver de terre. Comme le montrent les tracés
ci-contre, elle provoque une accélération de la fréquence
des contractions et une augmentation de leur amplitude, un effet inverse
de celui observé dans le tube digestif des vertébrés.
Contrairement aux autres substances qui stimulent le jabot-gésier,
elle ne modifie pas son tonus basal.
Toutefois, l'adrénaline agit sur la motricité du jabot-gésier
à des concentrations micromolaires alors que l'acétylcholine,
par exemple, agit à des concentrations nanomolaires. En outre, son
effet est bref et peu marqué. La dopamine, autre catécholamine,
exerce une action similaire sur le jabot-gésier dont elle accélère
la fréquence de contractions à des concentrations micromolaires.
Addition d'adrénaline à t = 120 s
Conclusion
La diversité des neuromédiateurs capables de modifier les
caractéristiques des contractions spontanées du jabot-gésier
suggère que cet organe possède une grande variété
de récepteurs différents. En effet, outre les neuromédiateurs
putatifs dont les effets sont présentés ci-dessus et dans
les autres pages de ce site (acétylcholine, acides aminés,
amines biogènes, catécholamines) qui représentent
les principales familles de neuromédiateurs, d'autres substances
reconnues comme neurotransmetteurs classiques chez les vertébrés
ou chez les invertébrés comme la noradrénaline
et le glutamate ainsi que de nombreux neuropeptides (FRMFamide, octopamine,
annetocine) ont également une action sur ce modèle. De plus,
plusieurs de ces substances ont été identifiées dans
le système nerveux du ver de terre, notamment dans les neurones
qui innervent le tube digestif.
Ces subtances chimiques de nature différente sont susceptibles
de modifier le rythme et les caractéristiques des contractions spontanées,
vraisemblablement en interférant avec des mécanismes variés
comme la génération des contractions spontanées, les
récepteurs de neurotransmetteurs, les mécanismes d'inactivation,
etc.
Ces caractéristiques font du jabot-gésier du ver de terre
un modèle pédagogique de choix utilisable pour des études
pratiques dans divers domaines de la physiologie, notamment le fonctionnement
des muscles lisses et les mécanismes de la neurotransmission.
Ces résultats permettent en outre de souligner que le même
messager chimique peut exercer des activités différentes
sur des organes différents au sein d'une même espèce
comme sur des organes comparables d'espèces différentes soulignant
ainsi le fait que l'action d'une substance pharmacodynamique sur les cellules
cibles dépend essentiellement de son récepteur.