Morphologie externe
- Au sortir de la période de clivage, des mouvements cellulaires
de grande ampleur apparaissent et remanient les trois feuillets germinatifs
: ectoderme, mésoderme et endoderme. Le blastopore apparaît
sur la face dorsale dans l'hémisphère végétatif
sous forme d'un sillon incurvé, appelé encoche blastoporale.
En morphologie externe, la jeune gastrula de xénope ressemble
à celle des autres amphibiens et permet de définir les
orientations ainsi que les termes généraux suivants (fig.17).
-
-
|
Figure
17. Schéma d'une jeune gastrula en vue dorsale (A) et en
vue de profil gauche (B). L'encoche blastoporale représentée
en brun foncé apparaît dans l'hémisphère
végetatif (HV) du côté dorsal de l'embryon.
La zone marginale correspond aux territoires situés dans
la région équatoriale. Dorsalement, la zone marginale
comprend un territoire situé au dessus de l'encoche blastoporale,
la lèvre dorsale du blastopore. HA: Hémisphère
animal, HV: Hémisphère végétatif,
PA: Pôle animal, PV: Pôle végétatif. |
Le sillon blastoporal (fig.18 A) s'allonge en décrivant
une large courbe autour du pôle végétatif (fig.18
B et C), jusqu'à former un cercle qui
délimite le bouchon vitellin (fig.18 D). Ce dernier
est internalisé dans l'embryon. Le diamètre du cercle blastoporal
ainsi formé diminue donc progressivement (fig.18 E
et F). Sur la figure 18F, le fil métallique
montre le bouchon vitellin résiduel vers la fin de la gastrulation.
Par commodité mnémotechnique, il est d'usage de donner des
noms imagés aux différents stades de la gastrulation (fig.18
et 20). Chez le xénope, les mouvements de la gastrulation
durent environ 7 à 8 heures à température ambiante.
|
Figure
18. Quelques stades de la gastrulation vus par l'hémisphère
végétatif. A, stade « encoche blastoporale ».
B, stade « anse de panier ». C, Stade « fer à
cheval ». D, « bouchon vitellin » stade jeune. E,
stade « bouchon vitellin » âgé. F, stade
« bouchon vitellin » final. |
Dès que l'embryon atteint le stade du bouchon vitellin, on distingue,
en plus de la lèvre dorsale du blastopore, les lèvres latérales
et la lèvre ventrale du blastopore devenue circulaire (fig.19).
|
- Figure 19. Schéma d'une
gastrula au stade jeune bouchon vitellin vu par le pôle
végétatif. LD: Lèvre dorsale,
- LL: Lèvre latérale,
LV: Lèvre ventrale, PV: Pôle végétatif.
|
On peut résumer les différentes étapes de la gastrulation
par l'évolution du blastopore depuis le stade de l'encoche blastoporale
jusqu'au stade de la fente blastoporale (fig.20). Cette
séquence de schémas permet de se rendre compte que les mouvements
de la gastrulation sont initiés dans la région dorsale,
progressent dorsolatéralement, puis ventrolatéralement pour
enfin se terminer dans la région ventrale. Les mouvements gastruléens
se propagent donc dans le sens dorsoventral.
|
Figure
20. Représentation de la gastrulation vue par l'hémisphère
végétatif montrant l'évolution du blastopore
depuis sa formation (stade encoche blastoporale) jusqu'à l'achèvement
de la gastrulation (stade fente blastoporale). (Voir l'animation) |
Cette transformation morphologique externe s'accompagne de mouvements
cellulaires internes de très grande ampleur qui concernent tous
les territoires de l'embryon.
Morphologie interne
Compte tenu de la complexité des mouvements gastruléens
dans les trois dimensions de l'espace, nous n'analyserons que les mouvements
cellulaires dans le plan médian, représentatifs de l'ensemble.
Dans la région dorsale, alors que l'encoche blastoporale apparaît
à la surface de l'embryon, les cellules internes situées
à l'angle du plancher et du toit du blastocoele adhèrent
à une structure nouvellement formée à la surface
des cellules du toit : la matrice extracellulaire (MEC). La MEC sert de
support de migration à ces cellules dites pionnières qui
se déplacent en direction du pôle animal. Elles forment un
front de migration (fig.21).
|
Figure
21. Représentation schématique de la région dorsale
d'une jeune gastrula à partir de quelques coupes histologiques
au niveau du blastopore, du front de migration et du toit du blastocoele. |
Le fond de la dépression blastoporale est formé de cellules
endodermiques fortement allongées vers l'intérieur de la
masse endodermique. Elles sont appelées cellules en bouteille.
A la surface de l'embryon, les territoires dorsaux se dirigent vers le
blastopore et entrent en contact avec les cellules en bouteille qui forment
un rempart compact. Leur rôle est, semble - t'il, de forcer les
territoires mésodermiques à s'enrouler sur eux mêmes
(mouvement d'involution), de façon à orienter leur déplacement
à la suite des premières cellules migrantes (fig.22).
|
Figure 22. Un
schéma d'interprétation d'une coupe sagittale dans la
région dorsale rend compte des mouvements d'involution. Les
territoires mésodermiques externes (rose) se dirigent vers
le blastopore (flèche verte). Au contact des cellules en bouteille
(vert foncé), ils s'enroulent en un mouvement d'involution
(flèche rouge), s'engagent dans l'embryon à la suite
des cellules mésodermiques en migration (flèche jaune).
L'endoderme suprablastoporal qui constitue la couche superficielle
de la lèvre dorsale du blastopore suit parallèlement
l'involution du mésoderme (flèche rouge). (d'après
Keller et Jansa, 1992). |
Au cours de la gastrulation, les tissus qui entrent dans le blastocoele
suivent le front de migration. Simultanément, le blastopore se
creuse d'une cavité nouvelle appelée cavité digestive
primitive ou archentéron (fig. 23). L'archentéron
se forme dans la région dorsale de l'embryon. L'ampleur des mouvements
de la gastrulation est maximum dans la région dorsale et minimum
dans la région ventrale. Cette observation indique que les mouvements
gastruléens se déroulent selon un gradient dorsoventral
d'ampleur décroissante.
|
Figure
23. Représentation schématique de la région dorsale
d'une gastrula âgée à partir de quelques coupes
histologiques au niveau du bouchon vitellin, de la lèvre dorsale
du blastopore, de l'archentéron et du front de migration. |
Mise en évidence des mouvements
cellulaires
-
- Les mouvements cellulaires de la gastrulation ont été
mis en évidence pour la première fois par l'embryologiste
allemand W. Vogt en 1929 chez deux espèces d'amphibien, un triton
et un crapaud. Il eut l'idée de poser sur la surface de l'embryon,
des fragments d'agar solidifiés et imprégnés de
colorants vitaux tels que le rouge neutre ou le bleu de Nil. En diffusant
dans l'eau, le colorant marque les cellules au contact de l'agar en
quelques minutes. Il suffit alors d' ôter le fragment d'agar et
d'observer l'évolution des cellules marquées parmi toutes
les autres cellules non colorées (fig.24). Plus
tard, l'opération a été effectuée chez le
xénope par l'embryologiste américain R. Keller en 1975
et 1976.
-
-
|
Figure 24.
Marquage coloré sur un embryon de xénope au stade
jeune gastrula. En A, des fragments d'agar fortement imprégnés
de bleu de Nil ont été éparpillés
sur le fond d'une coupelle remplie d'eau. A l'aide d'une baguette
de verre terminée par une anse métallique, un fragment
de quelques dizaines de microns est saisi, transporté (1)
puis appliqué à la surface de l'embryon (B). Environ
5 minutes après cette opération, le fragment d'agar
est retiré (2). Le résultat est la coloration d'un
groupe de cellules (3) à l'emplacement du fragment d'agar.
Dans cet exemple, les cellules marquées sont situées
dans le territoire de la lèvre dorsale du blastopore (C). |
De cette façon on conçoit que, de proche en proche, on
puisse marquer toute la surface de l'embryon par groupes de quelques cellules.
Les résultats sont doubles.
Premièrement, les marques colorées peuvent être retrouvées
plusieurs jours plus tard dans les ébauches d'organes de l'embryon.
On peut donc connaître, avec une certaine précision, la destinée
des cellules marquées dès le début de la gastrulation
et dresser ainsi une carte des destins cellulaires (carte des territoires
présomptifs) (fig.25).
|
Figure
25. Carte des territoires présomptifs de xénope au tout
début de la gastrulation (d'après Keller, 1976). En
A et B, sont représentés respectivement les tissus superficiels
et profonds. On remarque que les tissus mésodermiques situés
dans la zone marginale sont exclusivement constitués de cellules
profondes. |
Deuxièmement, le déplacement des marques colorées
nous renseigne sur les mouvements d'ensemble qu'effectuent ces territoires
embryonnaires pendant la gastrulation. Des territoires se redéploient
à l'intérieur de l'embryon en comblant l'espace interne
formé par le blastocoele. C'est l'invagination. C'est le
cas des territoires mésodermiques et endodermiques. Simultanément,
les autres territoires s'étalent à la surface de l'embryon
et le recouvrent entièrement. On parle de mouvements d'épibolie.
C'est le cas des territoires ectodermiques (épiderme et neuroderme).
Du point de vue de la mécanistique cellulaire, on distingue les
mouvements d'intercalation radiale qui contribuent à la
progression des mouvements d'épibolie et concernent par conséquent
les territoires ectodermiques ; les mouvements de migration cellulaire
sur le toit du blastocoele, moteur de l'invagination du mésoderme
antérieur et ventral ; les mouvements de convergence- extension,
moteur de l'invagination du mésoderme dorsal et de l'allongement
antéropostérieur de l'embryon.
L'ensemble de ces mouvements est commun au développement embryonnaire
des amphibiens ayant fait l'objet d'études embryologiques. Cependant,
le xénope présente deux particularités au niveau
des mouvements d'épibolie et d'invagination.
Epibolie
Chez le xenope, à la fin de la segmentation, la région
de l'hémisphère animal à l'origine de l'ectoderme
est composée d'un épithélium
tristratifié formé d'une assise cellulaire superficielle
et de deux assises cellulaires profondes. Dès le début de
la gastrulation, les deux assises de cellules profondes s'interpénètrent
à la manière d'une fermeture Eclair (fig.26).
Ce mécanisme progresse du pôle animal vers la zone marginale.
En fin de gastrulation, la couche profonde n'est donc plus formée
que d'une seule assise de cellules. En conséquence, alors qu'au
stade blastula, l'ectoderme comprend trois couches de cellules, au stade
gastrula âgée, le même feuillet n'est plus formé
que par deux couches de cellules, une assise superficielle et une profonde.
La résolution en une seule couche cellulaire d'une assise originelle
bistratifiée entraîne nécessairement une augmentation
de surface. Parallèlement, la couche de cellules superficielles,
bien que ne participant pas aux mouvements d'intercalation radiale, s'aplatit
et s'étale en suivant cette augmentation de surface. Au total,
les mouvements d'intercalation radiale des cellules profondes ainsi que
l'étalement des cellules superficielles rendent compte du mouvement
d'épibolie qui oeuvre au recouvrement de l'ensemble de l'embryon
par le feuillet ectodermique.
|
Figure
26. Fragment dorsal d'une coupe méridienne de l'hémisphère
animal. Les cellules ont été détourées
en rouge pour mettre en évidence l'organisation cellulaire.
La ligne jaune représente la limite entre les cellules superficielles
et les cellules profondes. Les cellules profondes s'intercalent entre
elles (flèches noires). Le mouvement d'intercalation radiale
progresse depuis le pôle animal vers la zone marginale dorsale
(ZMD). |
Migration
Dans le cas de la gastrulation des amphibiens, on entend par migration
cellulaire, le déplacement d'une cellule d'un point à un
autre à l'aide d'un support de migration extracellulaire appelé
matrice extracellulaire (MEC). Chez le xenope, les mouvements de migration
cellulaire concernent les premiers territoires mésodermiques qui
entrent dans le blastocoele et qui sont à l'origine du mésenchyme
céphalique, du coeur, des îlots sanguins, et des lames latérales.
Le reste du mésoderme à l'origine de la chorde et des somites
involue plus tardivement selon un mécanisme différent appelé
convergence- extension.
Il est admis que, si les mouvements de migration cellulaire existent lors
de la gastrulation du xenope, ceux-ci ne constituent pas le moteur prépondérant
de l'invagination. Des expériences ont même montré
que la délétion du toit du blastocoèle ou l'inhibition
de l'adhérence cellulaire à la MEC n'empêchent pas
les mouvements d'invagination et la fermeture du bouchon vitellin. Par
contre, il en va tout autrement de la gastrulation dans les embryons de
triton où la migration cellulaire est considérée
comme essentielle .
En conséquence, l'étude de la migration cellulaire ne sera
pas abordée ici. Elle fera l'objet d'un examen ultérieur
plus détaillé chez une autre espèce d'amphibien où
elle est indispensable.
Convergence - extension
Les mouvements de convergence- extension concernent les territoires dorsaux
et latérodorsaux de la gastrula, c'est à dire le mésoderme
de la chorde, des somites ainsi qu'une partie du neuroderme. Ils consistent
en une intercalation cellulaire médiolatérale. Les cellules
disposées latéralement par rapport au plan médian
convergent vers celui-ci. Elles sont donc obligées de s'intercaler
avec leurs voisines et provoquent une pression des tissus sur la ligne
dorsale de l'embryon. La résultante de ces mouvements est un allongement
antéropostérieur des territoires concernés. Des expériences
de lignage cellulaire utilisant des marqueurs fluorescents ainsi que la
vidéomicroscopie ont permis de démontrer l'existence de
ces mouvements (fig. 27).
|
Figure
27. Représentation schématique des mouvements de convergence-extension
dans la zone marginale dorsale. Un groupe de 13 cellules parmi l'ensemble
des cellules du territoire dorsal (grisé) est suivi depuis
le début de la gastrulation jusqu'au début de la neurulation
(A à C). Le plan médian est représenté
par la ligne bleue discontinue. Au stade jeune gastrula, les cellules
forment un amas cohésif (A). Les cellules les plus latérales
de ce groupe deviennent bipolaires et se dirigent vers le plan médian.
Elles sont convergentes (flèches bleues). Au cours de la gastrulation,
ces mêmes cellules s'intercalent avec leurs voisines et au stade
gastrula âgée la forme du groupe de cellules a changé.
Il s'est s'allongé le long du plan médian (B). Au début
du stade neurula, le phènomène s'est considérablement
accentué. Les cellules se sont espacées et alignées
le long du plan médian (C). Le groupe de cellules initial a
donc subi une extension antéropostérieure (doubles flèches
noires) (D'après Shih et Keller, 1992). |
Les mouvements d'extension ont pour effet d'étendre les tissus
dorsaux et dorsolatéraux vers la région postérieure
de l'embryon, c'est à dire vers le blastopore. Combinés
avec les mouvements d'involution, la pression exercée par les mouvements
d'extension provoque le recul du bord d'enroulement du blastopore vers
le pôle végétatif. Les tissus dorsaux et latérodorsaux
recouvrent donc le bouchon vitellin (fig.28 et 29).
|
Figure 28. Gastrulation
vue par l'hémisphère végétatif. Représentation
schématique de la progression des territoires dorsaux et dorsolatéraux
vers le blastopore. |
|
Figure 29. Un
schéma d'interprètation d'une coupe sagittale dans la
région dorsale rend compte des mouvements d'extension. Au cours
de la gastrulation, les mouvements de convergence provoquent l'extension
(flèches rouges) du mésoderme invaginé (rose)
ainsi que du neurectoderme externe (bleu clair). En conséquence,
le bord d'enroulement progresse vers le pôle végétatif
et recouvre l'endoderme subblastoporal (flèches vertes). (d'après
Keller et Jansa, 1992). |
Conclusion
Au stade de la gastrulation, des mouvements cellulaires de grande ampleur
affectent l'ensemble de l'embryon. Des remaniements cellulaires en découlent
et redistribuent les tissus embryonnaires. Les trois feuillets originaux,
ectoderme, mésoderme et endoderme sont maintenant organisés
de manière concentrique : l'endoderme profond, l'ectoderme superficiel
et le mésoderme en position intermédiaire (fig.
30, 31). Une nouvelle cavité est formée au détriment
du blastocoele : l'archentéron.
 |
 |
Figure
30. Schéma d'une coupe transversale au début de la
gastrulation montrant l'organisation étagée de l'ectoderme,
du mésoderme et de l'endoderme. |
Figure
31. Schéma d'une coupe transversale à la fin de la
gastrulation montrant l'organisation concentrique des feuillets
embryonnaires. |
L'environnement de chaque cellule a donc changé, ce qui génère
de nouveaux contacts entre les tissus. Ainsi, au cours de l'invagination,
des contacts qui s'établissent entre le mésoderme dorsal
et l'ectoderme sont une des composantes de l'induction du neurectoderme.
Le modelage de l'embryon peut alors commencer avec l'apparition des ébauches
d'organes. Le premier étant le système nerveux, l'embryon
accède au stade neurula.
Références citées :
- Keller, R. E. (1975). Vital dye mapping of the gastrula and neurula
of Xenopus laevis. I. Prospective areas and morphogenetic movements
in the superficial layer. Dev. Biol. 42, 222-241.
- Keller, R. E. (1976). Vital dye mapping of the gastrula and neurula
of Xenopus laevis. II. Prospective areas and morphogenetic movements
in the deep layer. Dev. Biol. 51, 118-137.
- Keller, R.E. and Jansa, S. (1992). Xenopus gastrulation without a
blastocoel roof. Dev.Dyn. 195, 162-176.
- Shih, J. and Keller R.E. (1992) Cell motility driving mediolateral
intercalation in explants of Xenopus laevis. Development 116,
901-914.
- Vogt,W. (1929). Gestalunganalyse am Amphibienkeim mit örtlicher
vitalfärbung. II. Teil. Gastrulation und Mesodermbildung bei Urodelen
und Anuren. Whilhem Roux Arch. Entwick. Mech. Org. 120, 384-706.
[Haut de la page]
|