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Le
blé moissonné doit être traité pour libérer
la farine. Il quitte alors la terre pour un circuit technologique
qui répète maintenant à l'échelle industrielle
les étapes artisanales traditionnelles. Toutes ces étapes
sont purement mécaniques, sans aucun traitement chimique,
de sorte que le produit obtenu est celui même qui était
dans l'amande du grain. Il est simplement fragmenté
mais non dénaturé.
- Il faut
d'abord séparer les grains de la paille et des fines enveloppes
qui l'entourent dans l'épi. Ils sont battus et vannés.
Le van était un grand panier d'osier lancé d'un
mouvement ample de façon à faire voler au vent les constituants
les plus légers. Effort épuisant répété des
journées entières, dont on n'a gardé le souvenir
qu'à travers l'expression "être
vanné". Après le criblage, les grains
passaient entre les lourdes meules du moulin.
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- Une pièce
de pierre est fixe et l'autre est mobile pour écraser et libérer
une mouture lorsque les enveloppes du grain sont ouvertes.
- L'entraînement
de la meule mobile était obtenu soit par traction animale soit
par le mouvement d'une roue à aubes dans les moulins à eau,
parfois
à forte puissance, surtout dans les fleuves près des villes
où les moulins étaient installés sur des bateaux
amarrés sur les berges et les piles des ponts.
- Dans
les campagnes on utilisait un moyen plus capricieux et variable, la
force du vent. Dans ce système venu d'Orient, peut-être
avec les croisés, les meules sont actionnées par les
ailes d'un moulin à vent. Il fut un temps où plus de
trois mille moulins tournaient en France. Les meules de pierre sont
maintenant remplacées par des cylindres compresseurs métalliques
et l'opération est réalisée dans de grandes minoteries
complètement informatisées. Le plus grand moulin d'Europe
se trouve à Corbeil - Essonnes et transforme 1800 tonnes de
blé chaque jour. Quelle que soit l'échelle des installations,
il faut après broyage, blutter, c'est-à-dire tamiser
pour séparer la farine blanche, fine et lisse, qui vient du
coeur du grain, de ce qu'on appelle les issues, principalement
constituées par les enveloppes formant le son. Il faut aussi
mettre de côté
les fragments du germe qui contiennent des corps gras qui risqueraient
de s'oxyder à l'air et de donner un goût de rance avec le
temps. Finalement, on obtient en moyenne 75% du grain qui, finement pulvérisé
et homogénéisé, formera la farine blanche panifiable.
Une extraction plus grossière en donne davantage mais avec des
débris de son. C'est la "farine complète",
sa couleur est bise à cause des pigments qui sont localisés
dans l'enveloppe. Inversement une extraction plus ménagée
donne un produit très pur, la "fleur de farine".
De tout temps a été
préférée la farine blanche, symbole de pureté
et de raffinement.
- Une minoterie
moderne industrielle n'évoque plus guère les installations
traditionnelles qui ont produit le froment pendant des siècles.
L'installation de systèmes actionnés par la vapeur a
remplacé les moulins familiers qui étaient, comme autant
de sémaphores, des repaires visuels et des lieux d'animation.
Ce fut rudement ressenti comme le signe d'une évolution irréversible
où l'homme perdait ses traditions.
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"Prenez
garde, répliqua Sancho. Ce que nous voyons là-bas,
ce ne sont pas des géants mais des moulins à vent,
et ce qui vous paraît être leurs bras, ce sont leurs
ailes qui tournent par le vent, qui à leur tour font tourner
la meule du moulin".
Cervantes,
Don Quichotte. |
Moulin
à vent de l'île de Noirmoutier. |
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- L'image
des moulins à vent, tours à bras mobiles qui animaient
l'horizon comme des géants, a été immortalisée
par Don Quichotte dans une page dont on
ne se souvient guère que par la formule "se
battre contre des moulins à
vent", illustration d'une velléité sans mesure
dont voici le rappel :
"En
parlant ainsi, il donne de l'éperon à son cheval
Rossinante, sans prendre garde aux avis de son écuyer Sancho.
Pour lui, il s'était si bien mis dans la tête que
c'étaient des géants que non seulement il n'entendait
point les cris de son écuyer Sancho, mais qu'il ne parvenait
pas, même en approchant de tout près, à reconnaître
la vérité. Au contraire, et tout en courant, il disait à grands
cris : "Ne fuyez pas, lâches et viles créatures,
c'est un seul chevalier qui vous attaque". Un peu de vent
s'étant alors levé, les grandes ailes commençèrent à se
mouvoir ; ce que voyant Don Quichotte s'écria : "Quand
même vous remueriez plus de bras que le géant Briarée,
vous allez me le payer". En disant ces mots, il se recommande
du profond de son coeur à
la dame Dulcinée, la priant de le secourir en un tel péril
; puis, bien couvert de son écu, et la lance en arrêt,
il se précipite au plus grand galop de Rossinante, contre
le premier moulin qui se trouvait devant lui ; mais, au moment où il
perçait l'aile d'un grand coup de lance, le vent la chasse
avec tant de furie qu'elle met la lance en pièces et qu'elle
emporte après elle le cheval et le chevalier, qui s'en alla
rouler sur la poussière en fort mauvais état." |
Alphonse
Daudet,
avec ses "Lettres de mon moulin " a montré l'émotion
que provoquent ces mutations,chez Maître Cornille, meunier désemparé
(Le secret de Maître Cornille).
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Olivier
de Serres, Le théatre d'agriculture et Mesnage des
Champs
Le
bled pour le pain blanc sera grossièrement moulu.
Puisqu'il s'agit ici plus de délicatesse que d'espargne,
le meunier fera ainsi, de ne briser beaucoup le bled, à ce
que facilement par se dépouiller, se séparant
de la farine. En cet endroit, il se seroit à propos
de parler des moulins à
moudre les bleds... |
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Le
moulin à eau (devanture de boulangerie). |
Les
farines
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Farine
panifiable issue du froment.
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Farine
non panifiable. Le blé noir ou sarrasin n'est pas un blé,
ni même une graminée.
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- Toutes
les espèces de céréales produisent une amande
remplie de multiples grains d'amidon qui peuvent être séparés
par broyage en fournissant une farine nutritive. Chaque grain d'amidon
est formé
de millions de molécules de glucoses. Le glucose est la molécule
la plus facilement métabolisée par l'organisme. Facilement
digéré
et absorbé par l'intestin, l'amidon est une excellente matière
alimentaire, mais bien d'autres plantes fournissent de l'amidon. Outre
toutes les céréales, citons les espèces à tubercule
comme la pomme de terre ou le manioc. Toutes sont des sources alimentaires
appréciées, mais seule la farine de blé est panifiable,
pourquoi ? Parce-que parmi les autres réserves se trouvent des
matières azotées, des protéines en plus faible
quantité (10 à15 %) qui ont la propriété de
pouvoir être associées, "agglutinées",
par malaxage en un réseau élastique et adhésif,
le gluten (de glu : collant). Ce réseau donne de la "force" à la
pâte et permet aux produits de la fermentation des levures dont
on ensemence la préparation de jouer leur rôle. Les levures
se nourrissent des sucres de l'amidon en dégageant du gaz (gaz
carbonique) comme nous le verrons plus loin. Le gaz est piégé sous
forme de multiples bulles dans le réseau de gluten et provoque
la "poussée"
ou "levée" de la pâte.
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Farine
de blé (microscope optique). On distingue les grains d'amidon,
et, à gauche, quelques restes d'enveloppes du grain de
blé.
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